Quatuor Ardeo

Charles Koechlin

Quartets n°1 & n°2

Achetez sur nos plateformes :

Quartet n°1 op. 51 in D

1.Allegro moderato

2.Scherzo (Allegro scherzando non troppo vivace)

3.Andante quasi adagio

4.Finale (Allegro con moto)

Quartet n°2 op. 57

5.Adagio

6.Scherzo (Allegro con fuoco)

7.Quasi adagio

8.Finale (Allegro moderato)

Ingénieur du son : Jean-Marc Laisné.
Enregistré à l’Église luthérienne Saint-Marcel à Paris les 2, 3, 4 et 5 octobre 2006.
Livret : Ludovic Florin.

AR RE-SE 2006-3

Les Quatuors de Charles Koechlin ou la généreuse exigence

Charles Koechlin (1867-1950) fut l’un de ces hommes qui semble avoir eu plusieurs vies en une seule puisque, outre la composition, il s’intéressa aux mathématiques (après deux années à Polytechnique), à l’astronomie, à la littérature, à l’architecture (il conçut lui-même les plans de ses maisons secondaires), à la photographie ou encore au cinéma. Ce fut aussi un grand marcheur qui, de la France à la Turquie, en passant par l’Espagne ou la Grèce, communiait avec la nature qu’il parcourait. Ses partitions reflètent cette ouverture d’esprit : La Cité nouvelle pour l’astronomie, The seven stars symphony pour le cinéma, Jean-Christophe d’après Romain Rolland, Le Livre de la jungle, Les heures persanes, etc. On découvre à l’intérieur de chacune d’elles de nombreux styles musicaux parfaitement maîtrisés. Dans un même opus, Koechlin peut ainsi employer la modalité grégorienne, la superposition tonale voire même l’atonalisme, façon pour lui de n’être dominé par aucun dogme. Il n’y perd pourtant pas son âme, et quelques mesures suffisent à reconnaître sa « griffe » sonore. Esprit hautement indépendant, il semble qu’il ait à payer cher ce courage dans un pays comme la France qui a la manie du classement et de l’étiquetage. En effet, Koechlin, l’un des compositeurs les plus importants de la première moitié du XXe siècle, est encore aujourd’hui trop sous-estimé. C’est pourquoi le présent enregistrement se révèle d’un intérêt supérieur.

Même en incluant l’opus 122, deux fugues composées en 1932, il peut paraître étonnant qu’il n’y ait pas davantage de quatuor à cordes parmi les quelques deux cent vingt partitions de son catalogue. Comparé à ses plus prolifiques contemporains (Milhaud, Chostakovitch ou Martinu par exemple) Koechlin ne s’est toutefois pas contenté d’en écrire un seul, à l’image de son maître Fauré, ou des Debussy, Ravel et autres Roussel. De Fauré, Koechlin a certainement retenu le respect avec lequel il convenait d’aborder cette formation considérée comme la plus élevée de la musique pure depuis les éblouissantes réussites de Beethoven. Il semblait pourtant tout désigné à entretenir longuement le genre. Parmi ses confrères n’était-il pas l’un des plus savants, celui que l’on consultait quand un problème épineux ne semblait pas avoir de solution ? C’est ce que nous rappellent ses multiples œuvres didactiques dont le Traité d’harmonie (1924-25), le Traité d’orchestration (1954-59) et surtout son Traité sur la Polyphonie modale (1931) pour l’écriture à quatre voix réelles du quatuor, ses études sur le choral (1929), la fugue (1934) et le contrepoint (dès 1926). Le compositeur expérimenta ainsi toutes les combinaisons instrumentales possibles, du solo au grand orchestre avec solistes et chœur. Néanmoins, ses trois quatuors sont représentatifs de l’évolution stylistique de sa première à sa deuxième manière.

On établit habituellement la datation de leur composition de la façon suivante : Premier quatuor de 1911 à 1913 ; Deuxième entre 1915 et 1916 ; Troisième de 1917 à 1921. En réalité, les esquisses conservées à la Bibliothèque nationale de France montrent combien la conception de chacun d’eux fut plus étendue. Ainsi, les premiers brouillons du Quatuor n°1 portent-ils les dates du 22 mai au 6 juin 1902. Estampillé par la SACEM le 10 juillet 1914, Koechlin concevait encore des « variantes (conformes à l’édition) » le 28 février 1921. La composition de l’opus 57 débuta bien en 1915, le 25 juin précisément, par des esquisses du premier mouvement. Le scherzo fut terminé en septembre 1916. Mais les brouillons du finale sont datés du 28 août 1909 au 1er août 1915. Puis, recopiant au net le quatuor, Koechlin révisa une dernière fois l’ensemble entre le 1er et le 2 août 1921. Enfin, les idées fortes du dernier quatuor s’échelonnent du 13 juin 1913 au 18 août 1919, alors que l’accord final fut écrit le 15 août 1921. On l’aura compris par le prisme de cette chronologie, ces quatuors ne sont pas le fruit d’un empressement hâtif. Au contraire, chaque note y est pesée, pensée et repensée. Tous furent enfin l’objet d’une révision complète en 1921, sans doute motivée par l’audition de son Premier quatuor op.51 dont la création avait eu lieu le 19 mai 1921 à Paris par le Quatuor Pascal.

En occultant les courts opus 20, 32 et 34, l’op.51 inaugure véritablement le domaine de la musique de chambre dans le catalogue du compositeur. La dédicace, « À mon maître André Gédalge », au-delà de la sincère gratitude, révèle combien l’écriture est redevable à l’enseignement dispensé à la classe de contrepoint et de fugue du Conservatoire. Koechlin y déploie en effet une science de la ligne mélodique, du suivi des voix (aux fréquents croisements) qui en fait, dès son premier essai dans ce domaine, un idéal équilibre entre maîtrise technique et musicalité. Au sein d’une forme sonate assez souple, deux thèmes vont être transformés, modulés, superposés, d’une façon très libre loin de toute scolastique. Les barres de mesure sont toujours présentes mais leurs perpétuels caprices (6/4, 9/4, 12/4, 4 1/2/4, 3 1/2/4, etc.) nous disent combien la musique est trop à l’étroit dans le carcan des barres de mesure qui ne demande qu’à exploser sous la plume du compositeur. Dans l’étagement des quintes à vide graves du violoncelle jusqu’aux suraiguës célestes des violonistes se reflète peut-être la passion de Koechlin pour les grands espaces montagnards qu’il aimait tant parcourir, en une sorte de transposition inconsciente et poétique. Le Scherzo qui suit a lui aussi une métrique très mouvante. Il est construit à partir d’une mélodie proche de la comptine enfantine, comme si le compositeur tentait de redonner aux procédés les plus savants une innocence originelle. Les couleurs de cette page d’une saveur diaphane sont variées par un grand nombre de sonorités différentes (pizzicatos, harmoniques, registres extrêmes, trémolos, etc.) et par des changements de tonalités extraordinairement rapides.

L’Andante quasi adagio est un nocturne au mouvement perpétuel de croches inéluctables. Une tension calme émane d’un chromatisme assez romantique équilibré à merveille par une écriture dense par des nuances n’excédant jamais le mezzo piano. Son unique mélodie parcourt continûment le mouvement en passant d’un instrument à l’autre. Le Finale paraît moins sérieux et prend la forme d’un pastiche de la Première École de Vienne. Et plus particulièrement de Haydn dans le refrain par quoi débute ce rondo, anticipant de quelques années le mouvement néo-classique. Chaque couplet montre cependant un visage en adéquation avec sa date de composition (variations complexes, sonorités âpres, etc.) Après le retour du refrain, le dernier couplet amène une surprenante modulation en do majeur où une phrase très pure s’y déploie dans un style presque galant. La conclusion se clarifie encore davantage, s’apaise et se conclut non en ré majeur (tonalité d’origine) mais en la majeur.

Jamais officiellement créé, l’opus 57 (devenu Première symphonie op.57 bis après orchestration en 1927) est une œuvre apparemment expérimentale, des recherches spécifiques se greffant à chaque mouvement. Dans cette perspective, le premier mouvement serait une étude d’harmonies sans véritable thème, présentée sous la forme d’arpèges aux couleurs changeantes, d’une pensée profondément originale dans le panorama musical de son époque. Depuis l’Adagio initial, le tempo ne cesse de ralentir, dans une esthétique étale du temps proche des Heures persanes op.65 contemporaines (1916-19). Loin de tout exotisme, cette temporalité, que Koechlin a sûrement perçue lors de ces voyages en Orient, est partie intégrante de son langage. Un autre temps, haché cette fois, apparaît dans le Scherzo qui suit en une étude rythmique aux appuis toujours différents. Il s’agit d’un jeu au sens fort du terme, par l’emploi, entre autres, d’une métrique à 11/8 encore assez insolite en 1916. Après un passage central plus posé (en 6/8), l’énergie liminaire reprend de plus belle en une écriture déjà proche de sa future conception orchestrale. Le mouvement lent est une étude de variations mélodiques sur un ostinato de croches. Il s’en dégage quelque chose d’immuable, par son écriture simple sans indigence, parfois proche du choral. Le finale est le mouvement le plus développé des trois quatuors, avec pas moins de 335 mesures (dont certaines à 15 temps !). Transcendant l’étude, il s’agit là d’une magistrale démonstration fuguée sans forfanterie, sentiment étranger à la personnalité de Koechlin. Possédant un goût marqué pour cette forme d’écriture, elle laisse transparaître l’admiration que ce parisien d’origine alsacienne portait à la musique des grands maîtres d’Outre-Rhin, et notamment sa véritable idolâtrie pour Bach. Les cordes s’y comportent en véritable orchestre avec leurs doubles et triples cordes, et d’incessantes recherches de combinaisons sonores. Le premier thème, franc et marqué, qui sert de sujet à la fugue, est bientôt superposé à son contre-sujet. S’ensuit un travail conséquent d’imitation. Toutefois, à certains endroits, Koechlin semble dérégler volontairement une mécanique qui lui semblait peut-être trop bien huilée. Et ce, au sein d’une polytonalité plus ou moins latente des plus réussie. Ailleurs, il imprime au déroulement un aspect volontairement archaïsant par de brusques changements de tonalités soulignés par les quintes à vide du violoncelle. Soudain, un Andante contraste avec son paisible ut majeur. Il précède la reprise d’une musique dominée par un « désordre organisé ». Véritable centre du mouvement, ce sommet chaotique est finalement projeté vers une soudaine illumination, en un mi majeur flamboyant. Peu à peu, par vagues, tout s’apaise pour laisser l’auditeur dans l’ébahissement de ce quart d’heure d’écoute intense. C’est que Koechlin ne faisait aucune concession quant à la réalisation de ses rêves d’artiste puisque sa musique est « […] à la fois développée et intérieure, ces passages-là étant pour des gens peu pressés et capables de suivre avec attention et sympathie une assez longue évolution de sentiments », comme il le soulignait lui-même dans une lettre du 20 décembre 1932.

Impossible de conclure autrement qu’avec l’Étude sur Charles Koechlin par lui-même (1939) : « Au demeurant, [Koechlin] est incapable d’écrire en analysant ce qu’il écrit, à ce point que jamais il ne se demande où est le thème… Chanter, chanter librement ! Ce qui ne veut pas dire sans ordre, ni qu’il s’y trouve parfois des motifs nettement définis. Mais en réalité, chacune de ses œuvres est une pièce unique dont le plan se trouve déterminé par l’évolution vivante des thèmes et des sentiments, par la vie même, – et qui jamais ne fut décidé à l’avance, sinon parfois dans ses plus grandes lignes […]. » Pour cela, sa musique ne recule devant aucune exigence d’interprétation, de techniques et donc d’écoute. Venues peut-être trop tôt, il serait temps que ces œuvres importantes entrent enfin au répertoire à côté de réussites aussi intenses que celles de Bartók, Carter, Dutilleux ou Ligeti.

Ludovic Florin

La presse en parle !

« Voici un enregistrement qui est vraiment à découvrir, aussi bien pour les extraordinaires quatuors du compositeur et esprit universel Charles Koechlin (1867-1950) que pour le Quatuor Ardeo, récemment formé par quatre jeunes musiciennes qui se sont rencontrées dans la classe de quatuor à cordes du Conservatoire de Paris et baptisé d’un mot latin qui veut dire « se consumer de passion ». D’une caractérisation difficile, la remarquable musique de Koechlin se montre dans ces quatuors souvent polytonale et modale mais dotée d’un sens de la mélodie que le compositeur manipule de différentes manières, en lui faisant souvent prendre la forme de grandes structures fuguées qui rappellent Bach. Le Quatuor n° 1 est plein de brillants coups de théâtre. Le monumental Quatuor n° 2, qui se termine par un extraordinaire dernier mouvement d’une longueur de 17 minutes, est d’une grande richesse contrapuntique et révèle de vastes et pures perspectives harmoniques. L’étonnant est moins le fait qu’un jeune quatuor français ait choisi d’enregistrer Koechlin que la maîtrise d’ensemble avec laquelle cette interprétation est menée. Les jeunes femmes laissent éclater une joie complice dans le dernier mouvement, d’une gaieté haydnienne, de l’opus 51, avant de se livrer avec une volupté suppliante à la déconstruction de l’esthétique étale du premier mouvement de l’Opus 57. L’enregistrement séduit par son alliance de clarté et de chaleur. Le livret de Ludovic Florin explore l’œuvre de Koechlin avec une précision philosophique et un détail musical implacables. »

Strings Magazine, Février 2008, L. V.


« Naviguer à travers le vaste catalogue de Charles Koechlin (plus de 250 œuvres) s’avère intimidant. Même le Grove regimbe pour en donner une liste complète, même s’il y mentionne les trois quatuors à cordes. Les deux premiers datent de 1913 et 1916 et représentent une contribution précieuse à la discographie du compositeur qui augmente discrètement mais sûrement. L’environnement musical naturel de Koechlin est l’orchestre et, par la suite, il orchestrera son Deuxième Quatuor auquel il donnera le titre de Première Symphonie. Dans sa forme d’origine, tout comme dans le premier quatuor, il révèle les racines françaises de sa musique, aux échos lointains de César Franck mais aussi la tradition beethovénienne soutenue dans la musique française par Vincent d’Indy. Il y a plus encore dans ces deux œuvres qui distingue ce compositeur, l’un des plus originaux et méconnus de la première moitié du XXe siècle, et les interprétations du Quatuor Ardeo, d’une grande souplesse et admirablement nuancées, méritent la plus large diffusion. »

The Guardian, 23 novembre 2007, Andrew Clements



« En première mondiale, le label Ar Ré-Sé publie un enregistrement de deux quatuors à cordes de Koechlin, un des plus grands compositeurs français du XXe Siècle. Jeune quatuor à cordes français, Ardeo s’est constitué au sein du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris dans la classe de quatuor à cordes de M. Hentz et D. Hovora. »

L’avis de la Fnac, Attention Talent



« Ayant suivi l’enseignement ponctuel ou régulier de membres du Fine Arts Quartet, des quatuors Hagen ou Talich (entre autres), le Quatuor Ardeo a déjà remporté de nombreux prix, que ce soit celui de la Fondation Polignac ou ceux décernés par les villes de Moscou (2004) et Bordeaux (2005). C’est dire si nous étions impatients d’écouter les quatre Françaises, de surcroît dans un programme qui défend la musique hexagonale : les Quatuors n° 1 et n° 2 de Charles Kœchlin. Scientifique de formation, auteur de nombreuses œuvres dialectiques – Traité d’harmonie (1924-25), Traité d’orchestration (1954-59), Traité sur la polyphonie modale (1931) –, il n’est pas étonnant de voir le créateur des Heures persanes consacrer trois opus à une formation associée à la quintessence musicale. Ceux-ci seront révisés jusqu’en 1921, dans l’enthousiasme de la création du premier (19 mai) et du point final apporté au dernier (15 août). Les brouillons du Quatuor n° 1 Op.51 portent les dates du 22 mai au 6 juin 1902, mais la composition proprement dite s’étale de 1911 à 1913. En plus d’une gestation assez longue, Kœchlin conçoit encore des variantes (conforme à l’édition), jusqu’au 28 février 1921. Dédiée à André Gédalge, cet élève de Massenet devenu professeur de contrepoint et de fugue au Conservatoire de Paris, l’œuvre, si l’on exclut quelques pièces précédentes, représente la véritable entrée du compositeur dans le monde chambriste. Cet essai signale déjà un équilibre remarquable entre musicalité et maîtrise technique, climats champêtre et sacré (Allegro moderato), connaissance et innocence (Scherzo), innovation et pastiche (Finale). Devenu 1re Symphonie Op.57bis après l’orchestration de 1927, le Quatuor n°2 Op.57 n’a jamais été officiellement créé, demeurant archivé comme une œuvre expérimentale. On peut y cerner certaines pistes de recherches : étude d’harmonies sans véritable thème (Adagio), métrique insolite pour l’époque (Scherzo), durée de mouvement déséquilibrée (dix-sept minutes pour le Finale), etc. C’est une belle osmose qui s’opère entre les interprètes et la musique, à la fois développée et intérieure, du compositeur – comme il l’a définie lui-même en 1932. Leur art d’installer des climats languides s’appuie sur une maîtrise remarquable de délicatesse et de nuance, source de ciselés d’une grande pureté. Les passages plus rythmés recèlent une allégresse jamais sauvage, bien qu’ils semblent plus bondissants que réellement dansants. Cet enregistrement mérite particulièrement d’être salué.  »

Anaclase.com, Octobre 2007, Laurent Bergnach


« CD COUP DE CŒUR Le Quatuor Ardeo magnifie KoechlinVoilà un jeune ensemble qui fait beaucoup parler de lui. Consacré aux deux premiers quatuors de Koechlin, leur nouveau disque est, à juste titre, unanimement salué par la critique. Mais le Quatuor Ardeo, constitué au CNSMDP et soutenu par Mécénat musical Société générale, avait déjà retenu l’attention par le passé, obtenant notamment, en 2005, le 1er prix de la Fédération nationale des associations de parents d’élèves des conservatoires et écoles de musique, danse et art dramatique (Fnapec) et le prix de la presse au concours international de quatuor à cordes de Bordeaux. Présent dans les grands festivals, l’ensemble jouera, le 29 septembre, au Septembre musical de l’Orne. »

Le Nouveau Musicien, N° 29, Septembre 2007


 
« Il n’est pas étonnant qu’un maître du contrepoint tel que Koechlin ait trouvé d’emblée l’équilibre entre les voix, si essentiel à un dialogue harmonieux entre les partenaires dans un genre réputé difficile (le quatuor à cordes). Son premier essai dans ce domaine est en tout cas un coup de maître : la dédicace à son maître André Gédalge (un véritable « Taneïev français » aujourd’hui scandaleusement oublié) place cette magnifique partition sous le signe du contrepoint et, tout particulièrement, de l’imitation chère à Bach, de tout temps étoile au firmament musical de notre musicien. Le sentiment pastoral teinté de modalité alterne avec de claires mélodies qui possèdent toute l’innocence des comptines que les enfants chantent dans un grand jardin sous le soleil de l’été, et papa Haydn en personne semble avoir porté sur les fonds baptismaux le malicieux final (un spirituel pastiche de la première École de Vienne). Le Quatuor n° 2 va plus loin encore. C’est certainement, en dehors du prodigieux quatuor de Florent Schmitt, le quatuor français le plus monumental de son temps. Son contenu déborde largement du cadre du quatuor, ce qui explique que l’auteur l’ait orchestré pour en faire sa première symphonie. La solide assise tonale n’empêche pas Koechlin de se livrer à des expérimentations encore hardies vers 1915 : thèmes « abstraits » en forme d’arpèges (premier mouvement, qui est loin d’être « athématique » ainsi que le suggère bizarrement la notice), ralentissement par paliers, tendant vers un immobilisme statique caractéristique de l’auteur, étude rythmique complexe (Scherzo), solution hautement personnelle au problème maintes fois soulevé de la synthèse entre fugue et allegro de sonate. La polytonalité et la modalité élargissent encore les possibilités expressives et s’orientent vers une conclusion sereine et lumineuse. Soutenu par le label Ar Ré-Sé (voir la rubrique « Les artisans du disque », p. 24), les interprètes défendent avec beaucoup de conviction ces pages magistrales, dignes de figurer au côté des chefs-d’œuvre du genre tels qu’à l’époque les quatuors de Malipiero ou ceux d’Honegger. Leur parfaite synchronisation et leur précision d’attaque permettent de savourer les courbes élégantes de la dense polyphonie modale qui pour Koechlin a valeur de signature. Et quelques manques de justesse passagers seront rapidement oubliés devant la ferveur et le soin avec lesquels les Ardeo construisent les progressions dynamiques, comme dans la partie médiane du finale du n° 2, Une approche aussi méditée aidera sans doute à ancrer dans le répertoire courant ces pages essentielles de la musique française. »

Classica-Répertoire, Juillet-Août 2007, Michel Fleury


« Les années 1911-1921 ont été pour Charles Koechlin celles où la musique de chambre a prédominé. 

Depuis le Premier Quatuor à cordes, achevé en 1913, jusqu’au Premier Quintette avec piano et cordes de 1921, le compositeur a marqué des formes consacrées de sa personnalité foncièrement indépendante. L’étude « Koechlin par lui-même », publiée en 1981 par La Revue musicale, décrit le processus par lequel celui-ci abordait la musique de chambre et, particulièrement, le quatuor à cordes : « Chanter, chanter librement ! Ce qui ne veut pas dire sans ordre, ni qu’il sy trouve parfois des motifs nettement définis. Mais en réalité, chacune de ces œuvres est une pièce unique dont le plan se trouve déterminé par l’évolution vivante des thèmes et des sentiments, par leur vie même. »
Il est nécessaire de se souvenir de ce regard du musicien sur lui-même pour mieux comprendre ce qui pourrait nous dérouter à l’écoute de ces deux quatuors à cordes, composés pour le premier de 1911 à 1913 et pour le deuxième entre 1915 et 1916, dates retenues par le catalogue édité en 1975, mais rectifiées par le texte de présentation de ce CD, qui nous apprend que les premiers brouillons de l’Opus 51 portent les dates du 22 mai au 6 juin 1902 (ce texte de Ludovic Florin est des plus complets, et c’est là une contribution importante à la connaissance de l’œuvre de Koechlin).
L’interprétation du Quatuor Ardeo, constitué en 2004 et composé de Carole Petitdemange et Olivia Hughes (violons), Caroline Donin (alto) et Joëlle Martinez (violoncelle), elle est totalement satisfaisante pour la cohésion des quatre instruments et l’esprit qui anime les jeunes interprètes. L’heure est enfin venue où l’œuvre de Charles Koechlin prend la place qui lui est due ! »

Le Monde de la musique, Mai 2006, Jean Roy



CD réalisé avec le soutien de Mécenat Musical Société Générale

×
×

Panier