Détails produit
Quatuor n°1
1.Polyphonie
2.Monodie
3.Déchant
4.Hymne
Quatuor n°2
1.Sagittaire
2.Mood
3.Alborada
4.Faran-Ngô
Quatuor n°3
1.Sorgin-Ngô
Un monde sans ombres
L’essence du quatuor, qui se retrouve dans chaque ouvrage depuis que le genre existe, est d’élaborer un dialogue entre ses acteurs. Je parle, tu me contredis, nous t’écoutons puis rétorquons ; nous parlons en même temps, je me tais, tu m’écoutes, et ainsi de suite. On ne voit pas en quel autre siècle que celui des Lumières cette conversation en musique aurait pu naître. On pourrait penser, quelques deux siècles et demi après sa venue au monde, que sa survie tient du miracle.
Peut-être : mais ce miracle est.
Inchangé, aussi bien de nomenclature que par l’attrait que, depuis sa naissance en Europe centrale vers 1770, il exerce sur les compositeurs – les unissant même comme bien peu de formes héritées du passé, à l’issue d’un XXe siècle qui aura vu disparaître toute idée que la langue musicale était une maison commune – agrégeant également ses interprètes sous la même bannière du “un pour tous, tous pour un”, tel se présente, aujourd’hui comme hier, le quatuor à cordes. On chercherait en vain un autre genre instrumental riche d’une telle constance de qualité de répertoire depuis sa naissance. Mieux : à en juger par la quantité de quatuors à cordes toujours composés, rien ne semble pouvoir arrêter son mouvement, ni même le freiner : passé l’an 2000 et son haut niveau de luxuriance sonore (instrumental et électronique), le classique et sobre quatuor à cordes vit encore. Et, qui plus est, vit bien.
Pourtant – ce n’est sans doute là, ni le moindre des paradoxes dont ce genre exigeant entre tous est l’emblème, ni le moindre de ses appâts – il fut, demeure et sera toujours “l’outil d’une certaine ascèse” (Pierre Boulez) : celle qui, avec une sobriété maximale de moyens (quatre instruments de la même famille dont deux identiques) met le compositeur, nu, face à lui -même. Une seule loi y règne, avec laquelle chaque créateur est libre de s’organiser, mais qu’il peut ignorer : c’est celle du “ligne à ligne” (le contrepoint) qui sous-tend cette conversation musicale toujours à réinventer. Sembler le refuser comme le fait Elliot Carter dans l’un de ses quatuors, qu’il partage en deux duos qu’il veut étranger l’un à l’autre (Troisième Quatuor, 1971), ou comme le fait Maurice Ohana, dont le monde polyphonique est très antérieur à celui de l’écriture instrumentale baroque et classique, c’est, somme toute, en proposer une modalité radicale.
Qu’il en soit issu (Schönberg) ou non (Debussy, Dutilleux), aucun compositeur aujourd’hui n’ignore qu’en composant un quatuor à cordes, il emprunte une voie tracée par Haydn et Beethoven. Précisons : non pas tant une voie qui a nom tradition, qu’une voie qui a nom : exigence d’invention. Il dépasserait le cadre de cette introduction de présenter le détail de l’originalité du père fondateur, dont l’évolution n’est pas en-deça de celle de Beethoven. Mais ne l’oublions pas : Haydn a créé, inventé, et dans le même temps remis en cause (ce dont témoignent ses opus 50 à 64) pour réinventer encore (op. 76). Et comme, selon le proverbe viennois, “toutes les bonnes choses vont par trois”, le XXe siècle n’était pas encore arrivé à sa mi-temps qu’à cette liste s’agrégeait le nom de Bartok. Même un compositeur aussi résistant face à l’héritage allemand de la musique que Maurice Ohana ne niait nullement l’importance de cette “colonne vertébrale” du quatuor à cordes.
Là, tout se joue en pleine lumière. Le quatuor “met à vif les faiblesses de pensée comme de réalisations, magnifie l’invention en même temps qu’il l’épure” (Pierre Boulez). Rien n’échappe à l’auditeur ; rien dans un quatuor ne fait diversion, n’enrobe ou n’embellit l’idée, rien ne distrait ni l’oreille ni ne permet à l’émotion de prendre une route de traverse. Droit au but : telle est sa loi. C’est le “jeu de la vérité”, auquel des intègres – pour ne citer que trois noms Beethoven, Bartok, Ohana — se livrent sans triche ni compromis. Ce fascinant objet sonore qu’est le quatuor, sans graisse car tout en muscles, n’est évidemment pas sans corps : personne n’oserait aujourd’hui prétendre que les derniers quatuors de Beethoven par exemple (dont certains pourtant durent l’équivalent d’un acte d’opéra) sont trop longs. Ôtez-leur un mouvement, un motif, une note, un simple pizzicato de basse, et vous entendrez à quel point tout y est nécessaire. Et ce corps du quatuor, qui est bien sûr tout sauf une abstraction — il faudrait tordre le cou une bonne fois pour toutes à cette réputation de “musique cérébrale” qui lui colle à la peau — avec Bartok et Webern, a appris à s’accepter avec une sensualité qui est une des grâces que les siècles de ces deux-là aura légué à la musique. Un réservoir d’attitudes nouvelles pour les instruments à cordes, mis en valeur à partir de sons nouveaux (harmoniques, pizzicati claqués, bois de l’archet etc), de glissandi de toute nature, de jeu avec des échelles différentes, il n’est aucun des compositeurs de l’après-guerre qui n’en aura fait son miel.
Sans commande, sans incitation autre que celle, occasionnelle, d’un interprète (pour les séquences de Maurice Ohana, ce fut l’infatigable Quatuor Parrenin), Debussy, Boulez, Ohana ont écrit, à un moment charnière pour eux, un quatuor à cordes. Il faut toutefois reconnaître que, commandes publiques obligent (la première du Ministère de la Culture, laseconde de Radio-France), Ohana fut le seul à récidiver, qui plus est avec un plaisir (1) revendiqué.
Et pourtant, rien ne l’y prédestinait. André Gide, qui l’avait entendu à Naples jouer “remarquablement” du Bach, du Scarlatti, de l’Albenitz, du Granados, la Quatrième Ballade et la Barcarolle de Chopin (Journal, 27 décembre 1945) savait qu’il entendait un pianiste qui avait été un enfant prodige (première apparition publique à 11 ans, répertoire contenant l’intégrale des sonates de Beethoven à 18 ans etc.) et dont le magnifique grand récital de Pleyel en février 1936 était encore dans bien des mémoires — dont la sienne. Certains (le sachant déjà compositeur aussi) avaient même fait le parallèle avec Feruccio Busoni, immense virtuose et compositeur aussi. Un peu plus tard, Gide comparerait de son côté cet espagnol d’origine andalouse au passeport britannique et qui avait choisi la France, à Joseph Conrad, le romancier polonais (né en Ukraine) et ayant écrit toute son oeuvre en anglais : une comparaison qui peut sembler artificielle à qui ignorerait que l’un fut un des plus grands romanciers de la mer de tous les temps, tandis que l’autre bâtissait une oeuvre sans méandres ni pertes, “tout en mouvement marin burinant la côte” selon Lucien Guérinel.
Pianiste d’abord, jamais Ohana, dont l’écriture de piano est une des plus belles de son temps, ne renia son bagage de tradition écrite : Chopin et Debussy. Un catalogue qui comporte Préludes et Etudes ne naît pas par hasard. Du reste surenchérissant sur “la belle leçon de liberté contenue dans l’épanouissement des arbres” où le musicien du futur pourrait trouver matière à se renouveler imaginée par Debussy (2) Ohana revendique : “les grandes leçons de musique (…), je les ai reçues concrètement de la mer et du vent, de la pluie sur les arbres et de la lumière…”
Il avait pourtant fallu, avant de se donner complètement à la composition, s’arracher, et à la pratique d’un instrument dévorant (et pour lequel Ohana composera sans cesse ensuite, toujours avec une poésie tendre, sensuelle et violente à la fois) et à l’exigence d’un père qui voulait son fils architecte. Le parcours est net : à l’issue de brèves études d’écriture à la Scola Cantorum avec Jean-Yves Daniel-Lesur avant une guerre de 40 (qu’il fait dans l’armée anglaise), le cursus est complété à Rome avec Alfredo Casella. Une amitié en naîtra. Sur le modèle de ses prédécesseurs français (ceux du “Groupe des Six”, puis de la “Jeune France”), Ohana décide de sortir du bois et affiche son indépendance à l’égard de toutes les écoles en créant le “Zodiaque” en 1947. Bien au-delà de son groupe éphémère (3) (pour ne pas dire contre lui, tant la notion d’indépendance est capitale, structurante, chez Ohana), voilà qui contribue à façonner “ce personnage d’une liberté absolue, en même temps que d’une intransigeance artistique esthétique implacable” (Francis Bayer), ce dont témoigne, avec éclat, son opus 1, Llanto por Ignacio Sanchez Mejias (1950).
Du début à la fin de son catalogue, deux constantes — qui sont ses voies privilégiées : la voix et le piano (ainsi que les percussions, dont le piano fait partie). Matriciels chez des contemporains comme Ferneyhough, Wolfgang Rihm ou Elliott Carter, les quatuors à cordes semblent chez Ohana plutôt des conséquences : les Séquences du magique Tombeau de Debussy (même emploi des tiers de tons à l’intérieur d’une oeuvre qui est la quintessence de son art), le Deuxième Quatuor, avec son deuxième mouvement mystérieux, gris comme l’est la lumière entre chien et loup, avec ses grands aplats instrumentaux/vocaux semble sourdre du monde sonore de la Messe (1977), tout en prolongeant le travail entrepris sur les cordes dans Silenciaire (1969), tout comme le Troisième, bien plus proche des couleurs de La Célestine (1988) que de quatuors nés sous d’autres plumes à la même période (Cage : Music fo four et Thirty Pieces ; Ferneyhough : Troisième et Quatrième Quatuor).
Ainsi des linéaments de l’écriture du plain-chant du Moyen-Age, auxquels les mouvements de Séquences font référence, du goût des percussions à clavier dont il aura exploré les mystères (4) (Deuxième Caprice pour piano, 1953 ; Silenciaire, 1969) et auxquels se rattachent toutes ces séquences verticales, homophones, qui portent la signature d’Ohana en chacun des trois quatuors (Hymne dans les Séquences, Sagittaire dans le Deuxième) ; ainsi de ce mouvement, fondamental de sa poétique sonore, du flamenco au canto jondo andalou venu des profondeurs d’où il lui faut être extrait (et d’où provient probablement cette attirance pour l’écriture en tiers de tons (5), qui permet une continuité mélodique qui en rappelle le port de voix caractéristique), ainsi de ces arrachés, ces coups de reins caractéristiques (sff/pp) qui signent toute son oeuvre, ainsi de l’Afrique proche de ce pur méridional, et toujours rôdante (Mood du Deuxième Quatuor, ou l’injonction faite aux interprètes en plein milieu du Troisième de “penser à Thelonious Monk”), sans oublier l’Asie des pagodes oniriques de Debussy (dernière page de Monodie). Les interprètes de ses quatuors à cordes le savent bien : Maurice Ohana n’écrit pas tant pour quatuor, qu’il “arrache” le quatuor à sa tradition, pour l’annexer à sa pensée et le fondre dans son monde personnel, où la musique lui sera venue “de la lumière ou encore de la contemplation de certains paysages que je recherche parce qu’ils ont l’air d’appartenir plus à la création du monde qu’à nos contrées civilisées”.
Stéphane Goldet
(1) Selon la déclaration d’Edith Canat de Chizy, compositeur et dédicataire du Deuxième Quatuor à cordes (cf. Edith Canat de Chizy et François Porcile : Maurice Ohana, Paris, Fayard, 2004). Chez les “non-allemands”, on peut toutefois remarquer une tendance à la composition de premiers quatuors qui ne sont pas particulièrement “de jeunesse” (Ohana a cinquante ans lorsqu’il se met à son premier, Dutilleux et Fauré bien d’avantage…)
(2) La Revue Blanche, 1er juin 1901 (repris dans Monsieur Croche et autres écrits, p. 45).
(3) Le “Zodiaque” conçu contre l’esthétique de la “Jeune France” (aux options à dire vrai bien diverses, et dont l’ancien maître d’Ohana, Jean-Yves Daniel-Lesur faisait partie, ainsi qu’Olivier Messiaen — ”Jeune France” elle-même conçue pour tourner la page “Groupe des Six” : et ainsi de suite… Le “Zodiaque”, n’eut toutefois qu’une vie éphémère de quelques concerts entre 1949 et 1950. Dans une époque qui virait au sectarisme idéologique, il s’agissait, en fait, d’exister face à la “machine sérielle” lancée avec succès par René Leibowitz (notamment auprès de la “classe Messiaen” du Conservatoire).
(4) La trace la plus éloquente se trouve dans le mouvement primitivement central des cinq Séquences (Tympanum), malheureusement par la suite renié par le compositeur. Car le plus cher à son coeur et n’ayant, à l’époque, pas trouvé d’interprète convaincant ?
(5) Du fait des neuf commas que contient un ton, l’écriture en tiers de tons est en fait plus fluide et naturelle que celle en quart de tons alors pourtant plus fréquemment utilisée à partir des années 1960 (Lutoslawski : Quatuor, 1964). Indépendance, indépendance toujours…
Les citations sont extraites de la préface de Pierre Boulez à l’ouvrage “Quatuors du XXe siècle” (S. Goldet, Actes Sud-Papiers, 1986), ainsi qu’aux témoignages de proches trouvés sur le site internet du compositeur (mauriceohana.com). L’auteur tient par ailleurs à remercier Edith Canat de Chizy pour les précisions qu’elle a accepté de lui donner avec la meilleure des grâces.
La presse en parle !
« Citoyen britannique né à Casablanca de parents espagnols, le Français Maurice Ohana (1913-1992) est l’un des compositeurs les plus importants de la deuxième moitié du XXe siècle, mais est-il vraiment reconnu à sa juste valeur ? Alliant le raffinement debussyste à l’âpreté sale de la musique arabo-andalouse, son écriture trouva son accomplissement dans la voix et dans le piano, dont cet élève de Lazare Lévy au Conservatoire de Paris était un virtuose. Mais son écriture si poétique trouva aussi une expression privilégiée dans ses trois Quatuors, trop peu connus, et que l’on découvre ici magnifiquement défendus par les quatre jeunes femmes du Quatuor Psophos. »
« Disques de la semaine », 18 novembre 2004, Christian Merlin et Bertrand Dicale
« D’abord pianiste prodige (il a même accompagné La Argentina !), [Maurice Ohana] est venu à la composition par l’enseignement de Daniel Lesur mais aussi le parrainage de Dutilleux. Rétif aux dissonances jusqu’à la fin, il appartient à l’aile individualiste et moderniste de la réaction antisérielle. (…) On pourra ajouter à ce portrait d’Ohana le tout nouvel enregistrement de ses trois quatuors pour cordes par les jeunes dames du déjà renommé Quatuor Psophos, pièces recueillies et lyriques qui exacerbent un langage demeuré classique. »
Libération, 26 novembre 2004, Gérard Dupuy
« On n’entre pas si facilement dans l’œuvre pour quatuor à cordes de Maurice Ohana : musique exigeante et complexe, elle demande du temps pour révéler ses secrets et se déploie comme autant de cités dont les beautés, précisément, naîtraient de l’ombre. Il y a, c’est entendu, un mystère à percer, mystère que ni la structure, ni le langage utilisé par le compositeur ne peuvent véritablement éclairer. Mieux vaut donc, pour goûter sa musique, se laisser emporter et laisser les images surgir en nous. Car en la matière, il y a fort à dire : d’abord parce que cette musique joue précisément sur l’imaginaire, comme si elle tentait de construire avec les sons un monde presque palpable. Ensuite parce qu’elle se déploie souvent comme un lent travelling sur quelques paysages immobiles, animés seulement par les brusques éclats d’un soleil aveuglant. Il y a, c’est entendu, quelque chose de cinématographique — un cinéma presque sans narration qui reviendrait à l’essentiel : les images et l’art du montage — dans cette manière de penser le déroulement d’une œuvre. La succession des plans, les fondus enchaînés, la poésie des images qui se substituent au monde réel, tout cela se retrouve chez Ohana, magnifiée aujourd’hui par le jeu sans fard du Quatuor Psophos. »
Arte, Décembre 2004, Mathias Heizmann
« A l’instar des Trois Mousquetaires, les Trois Grâces sont en fait quatre, et elles constituent le Quatuor Psophos. Ces drôles de dames nous offrent un enregistrement qui ferait et fera aimer la musique contemporaine aux plus réfractaires : « Vous n’aimez pas la musique contemporaine ? Vous n’avez pas entendu le Quatuor Psophos dans les Quatuors de Maurice Ohana ! » Il faut dire que Maurice Ohana est un compositeur atypique, au langage personnel s’affranchissant de toute école stylistique ou esthétique, et notamment l’école dodécaphonique allemande. Éminemment poétique, Ohana privilégie une écriture rigoureuse et subtile – invoquant le plain-chant dans son Premier Quatuor – au lyrisme méditerranéen (et notamment andalou et africain dans les Quatuors nos 2 et 3), axant son travail sur le timbre – d’où l’emploi de tiers de ton et d’un jeu moderne des instruments à cordes (harmoniques, bois de l’archet, pizzicatos claqués, etc.). Ohana renouvelle alors la façon d’écriture pour quatuor, l’adaptant à son langage et le libérant de la traditionnelle rigueur polyphonique. Dans cet enregistrement, tout y est, et en premier lieu une précision d’ensemble et une homogénéité du son remarquables. Leur énergie se traduit par un archet très sûr et nerveux, idéal pour « ces coups de reins caractéristiques – sff-pp – qui signent toute l’oeuvre d’Ohana » signalés dans le livret, mais d’où se dégage, même dans le tranchant le plus abrupt, une grande beauté sonore, loin des interprétations au scalpel trop souvent rencontrées dans ce répertoire. Quant à la justesse, même les tiers de ton sonnent avec une précision parfaite. Les rencontres harmoniques se produisent sans l’ombre d’une hésitation. Les quatre musiciennes se jouent de cette musique, requérant pourtant toutes les techniques « modernes » des instruments à cordes, avec une facilité déconcertante, en un engagement et un plaisir rares. Dotées d’une palette expressive pléthorique, d’une grande variété de vibratos, d’un son formidable mais aussi beaucoup plus intime en fonction des besoins, ces jeunes femmes savent tout faire. Avec une autorité extraordinaire, elles restituent parfaitement la structure des quatuors et l’auditeur n’est jamais perdu, même dans une musique pourtant loin d’être évidente. Et c’est d’ailleurs cette évidence qu’elles y insèrent qui nous emporte. Chaque moment est inspiré, replacé dans le contexte des oeuvres, dont les différents mouvements sont merveilleusement unifiés. D’une subtilité incroyable, d’une perfection technique et de ton intimidantes, on se laisse, admiratif, à écouter ces oeuvres dans un recueillement religieux, ce qui est particulièrement rare, a fortiori dans ce répertoire, n’espérant qu’une seule chose : que cela dure longtemps. Senti, ressenti, vécu, parfaitement restitué, tout cela est beau, car le Quatuor Psophos n’oublie jamais l’aspect esthétique, trop souvent négligé. Oui, c’est moderne, et c’est beau ! Alors nos Quatre Grâces réussissent un fort joli coup : être la référence pour très longtemps dans ces oeuvres, et se positionner en très bonne place dans le cénacle des jeunes quatuors français. Espérons que le Quatuor Psophos confirmera par la suite, cette fois-ci dans des oeuvres plus « traditionnelles » du répertoire — leur premier disque Mendelssohn (Zig-Zag Territoires) le laissant espérer. »
Classica-Répertoire, Février 2005, Antoine Mignon
« Discophage : les meilleures prises de son
Le Quatuor Psophos s’avère d’une maîtrise technique époustouflante, qui lui permet une beauté sonore constante, même à travers les techniques de jeu les plus modernes, du pizzicato claqué aux tiers de ton. Et la captation s’avère d’une pureté et d’une précision impeccable, restituant les quatre instruments parfaitement individualisés dans l’espace avec leurs sonorités charnues et une présence phénoménale, dans les moments les plus recueillis comme dans les plus éclatants. »
Mars 2005, Philippe van den Bosch
« Voici à notre connaissance le seul enregistrement publié des trois quatuors de Maurice Ohana. Le premier d’entre eux s’intitule bien Cinq séquences (1963), mais les Psophos ont décidé d’en retrancher le Tympanum central conformément aux préférences du compositeur (ce mouvement devrait figurer sur la version du Quatuor Danel envisagée chez Timpani). Polyphonie, Monodie, Déchant, Hymne : les titres suggèrent la variété des techniques autant que la référence à la musique vocale médiévale. Cette langue austère aux contours anguleux, sèche comme un cep, le jeu des Psophos l’irrigue d’une sève bienvenue (Monodie), embrasant les déchirures d’Hymne. Le Quatuor no 2 (1980) élargira le propos rituel au cante jondo andalou et au spiritual. Un Sagittaire épidermique à souhait annonce les soubresauts cabalistiques d’Alborada avant le superbe dernier mouvement, Faran-Ngô, connu dans sa version orchestrale sous le nom de Crypt (1980). Les Psophos affirment avec autant de conviction la puissance tellurique du Troisième quatuor, Sorgin-Ngô (1989), qui foule la craie et l’ocre de ses métriques basques. Attendu au tournant pour cette nouvelle parution, le jeune quatuor français s’empare de cette musique avec une méticulosité fiévreuse, conjuguant énergie motrice et plénitude sonore, archet de fer et crin de velours. »
Diapason, Février 2005, Nicolas Baron
« Créé en 1997 au Conservatoire National de Lyon, le Quatuor Psophos (en grec « l’événement sonore »), lauréat de nombreux concours internationaux, remporte notamment le Premier Grand Prix du Concours International de Quatuors à cordes de Bordeaux en Septembre 2001. Dès lors, il est invité sur les plus grandes scènes et festivals internationaux (Concertgebouw d’Amsterdam, Wigmore Hall de Londres, Les Folles Journées de Nantes, Palais des Beaux Arts de Bruxelles…) et partage sa passion de la musique de chambre avec de nombreux solistes français (Jean-Claude Pennetier, Alain Meunier, Frank Braley…).
Premier enregistrement CD du Quatuor Psophos, l’intégrale des quatuors de Maurice Ohana avec lequel il remporte le prix Maurice Ohana et le Prix Mécénat Musical Société Générale, témoigne clairement de la curiosité et de l’esprit d’entreprise de l’ensemble entièrement féminin, rappelons-le. Rien de traditionnel dans l’univers de ces trois quatuors tournant radicalement le dos à l’héritage allemand et à la loi du contrepoint pour rejoindre le monde sonore personnel du compositeur ; le raffinement des timbres, l’écho des rythmes et des instruments de l’Afrique qui fascine Ohana, l’extrême diversité des textures fluides ou compactes, homogènes ou éclatées nourrissent les lignes du quatuor comme celles de sa musique vocale ou de son œuvre pour piano. Totalement investi dans la recherche des couleurs, des textures spécifiques sollicitant des modes de jeu très diversifiés et avec une parfaite maîtrise des inflexions au tiers de ton qu’affectionne tout particulièrement Ohana, le quatuor Psophos tend ici à devenir un véritable générateur de sons modelant son objet sonore en continuelle métamorphose.
Les titres des quatre mouvements du Premier quatuor font référence à quatre types d’écriture – Polyphonie, Monodie, Déchant et Hymne – plongeant leurs racines dans un Moyen-Age lointainement évoqué. L’Hymne final met en œuvre l’écriture verticale et homophone des quatre pupitres exigeant, comme chez Messiaen, la synchronisation parfaite du geste et des énergies au sein d’un quatuor dont on peut ici apprécier les qualités de son et la richesse de la palette des timbres. Plus étrange encore et mystérieux dans son itinéraire musical, le Deuxième quatuor diversifie l’univers de chacun des quatre mouvements – Sagittaire, Mood, Alborada, Faran-Ngô. Jeux de contrastes, dans Sagittaire, entre les allures souples et « lissées » de la trajectoire sonore et le travail toutes en aspérités de certaines surfaces plus tourmentées. Les pizzicatti profonds des cordes graves dans Mood évoquent l’écho mystérieux des percussions de peau perturbant le calme de grands aplats instrumentaux. Alborada est parcouru par une vibration lumineuse irradiant la matière sonore tandis que Faran-Ngô semble résumer, dans son parcours très « accidenté », l’extrême diversité du jeu instrumental déployé dans toute la partition. Entre langueur et surgissement, murmure et clameur, le Troisième quatuor Sorgin-Ngô, écrit d’un seul tenant, se nourrit de contrastes. Aux épisodes pulsés par une rythmique presque sauvage succèdent des plages de pure poésie sonore, tendres autant que sensuelles. Avec une énergie et un potentiel sonore mis au service de l’invention musicale, le quatuor Psophos nous fait voyager dans ces lointains mystérieux, ces paysages oniriques avec un engagement artistique total pour atteindre, toujours à fleur d’émotion, l’essence d’une poétique sonore.
Ce superbe enregistrement qui vient compléter la discographie d’Ohana coïncide avec la sortie imminente d’une monographie désormais essentielle sur le compositeur écrite par Edith Canat de Chizy et François Porcille aux éditions Fayard. »
ResMusica.com, 7 janvier 2005, Michèle Tosi
« Maurice Ohana demeure le plus obscur et le plus méconnu des très grands compositeurs de la seconde moitié du siècle dernier, au point que dans la plupart des pays on ignore toujours jusqu’à son nom ! Et qui sait qu’entre autres il a enrichi le répertoire du Quatuor à cordes de trois pages capitales ? Ce sont sans doute ses oeuvres les moins connues, de sorte que leur première discographique, plus de douze ans après sa mort, est un véritable événement. (…) Si toute sa musique se situe aux antipodes des traditions germaniques, rejet fièrement revendiqué, ce rejet la met face au défi de renoncer presque totalement à la polyphonie qui semble inséparable du genre même du Quatuor, de pair avec la pensée dialectique faite de contrastes et de développements thématiques qui en est la conséquence. C’est dire que ces pages se situent à part de tous les chefs-d’oeuvre du genre, et se concentrent sur d’autres éléments de langage : le melos monodique ou du moins hétérophone, la variété et la richesse des rythmes, le raffinement extraordinaire de l’harmonie, enfin et peut-être surtout le timbre, le travail sur le son, qui situe Ohana en plein centre de la tendance dominante de l’aile marchante de la jeune musique. L’essence intime de ces oeuvres, c’est la magie et l’envoûtement propres aux rituels, ceux du Cante jondo andalou comme ceux du Jazz, deux sources d’inspiration capitales de Maurice Ohana, par ailleurs en quête des origines archétypales, voire préhistoriques de la musique. C’est dire que nous sommes très loin de Haydn et de Beethoven, un peu moins loin seulement de Bartók, dont quelques échos des musiques de caractère « nocturne » subsistent encore dans les Cinq Séquences, en dépit de quoi l’univers et le langage si personnels du compositeur s’y manifestent déjà pleinement. Le Deuxième Quatuor est le plus intime, le plus secret, sans doute, le plus difficile d’accès, mais c’est lui qui contient peut-être les trouvailles sonores les plus passionnantes. Le Troisième, enfin, une de ses dernières grandes oeuvres, est un aboutissement grandiose, le plus vaste, bien que d’un seul tenant, plus « classique » peut-être, contenant notamment un bref, mais extraordinaire hommage à Thelonious Monk. Même si personne ne le sait encore (ce CD y contribuera) c’est, tout simplement, l’un des suprêmes chefs-d’oeuvre du genre, et pas seulement au vingtième siècle ! (…) Ce produit d’un tout petit éditeur indépendant, dont on souhaite que la diffusion ne soit pas trop confidentielle (mais il a fort bien trouvé le chemin de notre revue !) constitue un événement de toute première importance, grâce auquel l’opéra La Célestine demeure la dernière lacune béante de la discographie ohanienne… »
Crescendo, Février-mars 2005, Harry Halbreich
« L’exigence et la liberté
On les avait découvertes voici quelque temps dans Mendelssohn et, dame, c’est le cas de l’écrire, les quatre jeunes femmes du Quatuor Psophos nous avaient fait grosse impression… Eh bien, dans un monde du quatuor sinon misogyne, du mois assez masculin, voilà une confirmation qui fait bougrement plaisir : Ayako Tanaka et ses complices ont eu la formidable idée de graver l’intégrale des quatuors de Maurice Ohana, sorcier un peu, sourcier beaucoup… Et non contentes d’offrir ce qui sera pour beaucoup une superbe découverte, elles nous permettent de rappeler que le credo du musicien n’a pas perdu une once de son actualité. Plus que jamais, il faut défendre la liberté du langage musical contre tous les esthétismes tyranniques. Les plus mous ne sont pas les moins dangereux… »
La Libre Essentielle, Mars 2005
« Que Maurice Ohana (1914-1992) ait écrit des quatuors, et qui plus est sans commande particulière, pourra surprendre. Le genre est en effet surtout lié à la tradition musicale germano-autrichienne, dont le compositeur se défiait. Ohana va donc utiliser le quatuor en tant que formation instrumentale et en tant que technique d’écriture, pour approfondir certains aspects de son langage et de son esthétique.
Le premier date de 1963 – contemporain, donc, du Tombeau de Claude Debussy. L’œuvre comprenait à l’origine cinq parties, mais Ohana supprima le volet central (Tympanum) et il est un peu dommage que dans cette version, les interprètes n’aient pas osé le réintroduire. Chaque mouvement fait référence à des modes d’écriture médiévale (Polyphonie-Monodie-Déchant-Hymne). L’œuvre utilise abondamment les tiers de ton qui donnent à son œuvre une couleur rugueuse, singulière et archaïque.
On retrouvera ce goût typiquement ohanien pour les traditions musicales non-classiques (c’est à dire non inspirées par la musique savante européenne) dans le Deuxième Quatuor (1980), qui se réfère à la fois au « cante jondo » et à la musique africaine, sous sa forme première et sous sa forme américaine du gospel. Le dernier Quatuor, Sorgin-Ngô, en un long mouvement de 24 minutes très fermement construit (1989) est contemporain de l’opéra La Célestine. Ici dominent les recherches de rythmes complexes, les jeux de masse sonores, tout ce qui peut connoter l’âpreté et la dureté minérale.
On ne saurait évidemment sous-estimer l’intérêt de ces parutions qui donnent accès à trois chefs-d’œuvre de la musique de notre temps, trop peu connus jusqu’ici. Ce CD est également le premier enregistrement commercial du Quatuor Psophos, formation entièrement féminine née en 1997 et déjà fort honorablement connue. Pour les quatre jeunes instrumentistes, c’est évidemment une gageure d’avoir débuté avec ces pages pas vraiment connues et fort exigeantes. Pari gagné. Les qualités instrumentales des Psophos sont extraordinaires, tant pour la justesse (en particulier dans les tiers de ton !) que dans la variété des coloris ou les puissants jeux de rythmes et volume du Troisième Quatuor. La révélation de trois chefs d’œuvre se double donc de celle d’un grand quatuor à cordes. À quand la suite ? »
ClassicsToday France, Jacques Bonnaure
« Les auditeurs qui sont peu familiers de Maurice Ohana (1914-1992), compositeur aux héritages variés – détenteur de la nationalité britannique, né en Afrique du nord de parents espagnols, il fit ses études à Rome et finit par se fixer à Paris – liront avec profit la critique de Lindsay Koob sur son œuvre chorale (parue dans le numéro de septembre-octobre 2004). Comme le souligne Koob, Ohana était unique en son genre : « un phénomène isolé… une sorte de mouvement de la musique à lui tout seul, de taille réduite (50 œuvres environ) mais important. ».
Fasciné par la musique exotique et primitive, Ohana entreprit d’en développer une sorte de recréation moderne à l’aide de techniques d’avant-garde. Le résultat est dense mais vibrant, austère mais sensuel, impressionniste mais abstrait, oblique mais frappant, nouveau mais ancien. On y trouve des parentés avec Bartok, avec Berg, et plus clairement avec la musique extatique et visionnaire de Messiaen et de Dutilleux – mais Ohana est plus sauvage, plus rugueux. Tout comme les paysages âpres qu’elle évoque, sa musique n’est jamais jolie mais peut être douloureusement belle. Comme le dit Koob, « Elle exige de la patience, de la concentration, et des écoutes répétées ».
Pour être honnête, je n’avais jamais apprécié la musique d’Ohana jusqu’ici. Elle me semblait trop inaccessible et dénuée de forme. A ma grande surprise, toutefois, je suis rapidement entré dans l’univers de ces quatuors. Les textures complexes et les effets inhabituels des cordes – pizzicati, glissandi et harmonies désynchronisés, col legnos heurtés, grappes microtonales, recitatifs psalmodiants et fleuris, ostinatos décalés – aparaissent comme absolument consubstantiels à l’argument musical plutôt que comme de la décoration superficielle et tape-à-l’œil. Cette musique d’une intégrité de roc possède une « évidence » et une logique qui, pour peu conventionnels qu’ils soient, s’imposent dès le début. Elle brûle tout simplement d’une ferveur expressive qui rappelle les moments les plus intenses de la musique de Bloch, telle sa scintillante Deuxième Sonate. Les musiciennes du Quatuor Psophos jouent comme si elles étaient possédées ; leur intensité vif-argent et leur superbe concordance sont magnifiquement rendus dans l’enregistrement holographique d’Ar Ré-sé.
Ames sensibles s’abstenir ! Mais ceux qui aiment sortir des sentiers battus trouveront ici une riche récompense. J’espère que le Quatuor Psophos continuera d’explorer ce genre de répertoire délaissé. J’aimerais beaucoup les entendre dans certains beaux quatuors de Barraud, de Nikiprowetsky et d’autres compositeurs modernes de la tradition française. »
American Record Guide, Lehman