AR RE-SE 2004-8
Verdi fait partie de ces compositeurs qui se confondent avec un genre : tout comme Chopin ou Liszt s’identifient au piano, Verdi, à l’instar de son contemporain Wagner, ne fait qu’un avec l’opéra. Or, les musicologues et spécialistes du compositeur nous apprennent qu’il a également écrit, de façon extrêmement marginale par rapport au reste de son oeuvre, quelques œuvres instrumentales (notamment un quatuor à cordes), ainsi qu’une petite trentaine de mélodies avec piano. Certes, ces dernières relèvent, comme les opéras, de la musique vocale, témoignant de l’intérêt quasi exclusif du compositeur pour la voix, pour le chant : mais alors que le génie verdien est, avant tout et essentiellement, un génie dramatique, on découvre ici un Verdi plus intime, un Verdi de chambre — ou plutôt de salon.
De fait, les quelques dix-huit mélodies présentées ici (qui représentent donc les deux tiers de sa production totale dans ce domaine) ne peuvent pas être considérées comme des “mélodies” au sens où l’on parle de mélodie française : elles ressortent bien plutôt du genre de la romance, terme qui figure d’ailleurs explicitement dans le titre des deux principaux recueils du compositeur (parus respectivement en 1838 et en 1843). En effet, la mélodie française de la fin du XIXe siècle s’est constituée en se dégageant de la romance, par des recherches harmoniques et prosodiques, par des choix littéraires exigeants, par une écriture continue et non plus strophique, enfin par une esthétique de la concentration des effets plus que de l’ostentation mélodramatique : or, a contrario, les mélodies de Verdi sont étroitement liées à l’esprit de l’air d’opéra : bien plus, elles préfigurent et, dans de rares cas, accompagnent, voire rappellent certains airs d’opéras de Verdi, dont elles constituent une sorte de laboratoire. Pour plus de commodité, nous conserverons cependant le terme de mélodie dans son sens très large, le terme de romance renvoyant stricto sensu à une mélodie de type strophique, ce qui n’est pas toujours le cas ici.
« Venant après un premier récital de mélodies françaises (voir 0. I. no 296 p. 88 de décembre 2004) à propos duquel Thierry Guyenne soulignait déjà « l’opulence vocale et l’engagement dramatique de la soprano française », ce programme entièrement consacré à Verdi représente pour Norah Amsellem un enjeu plus risqué encore. Il faut en effet un talent affirmé pour naviguer à son aise dans un répertoire toujours proche de l’opéra mais qui, sous ses dehors plaisants et faciles, recèle en fait pas mal d’embûches. Pour chacune de ces pages composées au fil des ans, parfois pour répondre à une commande, souvent en guise d’hommage de circonstance, il faut trouver le ton le plus juste. Ne pas dramatiser à l’excès ce qui doit être à peine suggéré ; colorer avec subtilité ce qui, dans la continuité d’une heure et plus, risque vite de tomber dans la monotonie. C’est là un art difficile, plus difficile encore que de se lancer dans des rôles très connus, avec le soutien d’un orchestre. Reconnaissons aussitôt que Norah Amsellem ne sort pas si mal d’un tel parcours d’obstacles. Elle apporte à ces mélodies un métier déjà affirmé. On le remarque en particulier dans les oeuvres qui font appel à un pittoresque immédiat, celles dont le ton est le plus franc. Stomello, Lo spazzacomino ou le Brindisi ont ainsi de la vivacité, de l’entrain et sont interprétés avec ce qu’il faut de panache. Accompagnée avec beaucoup de soin et de justesse par Lydia Jardon, la cantatrice sait faire alterner l’émotion et l’éclat, les brèves envolées lyriques et les suggestions d’ambiance. Dans une mélodie telle que Perdute ho la pace, c’est tout un art de nuances qu’elle met en jeu, en conservant l’élégance qui tempère cette passion de salon. Beau travail en définitive. Ce récital bien composé, très équilibré aussi dans son approche technique, suffit déjà à justifier les ambitions de Norah Amsellem. »
Opéra international, Mars 2005, Pierre Cadars
« On ne présente plus Norah Amsellem, cette jeune soprano qui fait le bonheur des mélomanes du monde entier, puisqu’elle chante aussi bien en Europe qu’au Japon ou aux Etats-Unis où ses prestations à l’opéra de San Francisco et au Metropolitan de New York lui ont valu les éloges de la presse internationale. Elle est accompagnée par la pianiste Lydia Jardon avec laquelle elle a enregistré un disque de mélodies de Verdi. Lydia Jardon est la créatrice d’un festival très original : Rencontres de musiciennes sur l’île d’Ouessant, dite « l’île aux femmes ». Elle a également créé un nouveau label discographique féminin : AR RÉ-SÉ (qui veut dire « celles-là » en breton…) qui publie dans cette collection ces Verdi songs enregistrées pendant l’été 2004. »
France 2, « Musiques au coeur », Lundi 7 mars 2005 à 1h10, Nouveaux talents d’aujourd’hui et de demain
« Outre ses opéras, Verdi a composé un nombre relativement restreint de mélodies. Les premières furent réunies en un recueil de six pièces en 1838, un an avant la représentation d’Oberto, conte di San Bonifacio, son premier opéra. Après quelques morceaux séparés, nouveau recueil de six en 1845, année prolifique qui voit la naissance d’Alzira et Giovanna d’Arco. Par la suite, Verdi publiera encore quelques mélodies, la dernière (Stornello) datant de 1869. L’essentiel de cette production marginale date donc des « années de galère » où le jeune compositeur produisait opéra sur opéra et forgeait son style propre en se dégageant de toute influence antérieure. Rien d’étonnant donc à ce que cette recherche mais aussi ces influences soient perceptibles dans ces mélodies, qui ne sont ni des romances de salon ni des Lieder à l’allemande mais le plus souvent de petites scènes dramatiques qui pourraient trouver leur place dans un opéra, ou des pièces de caractère qui montrent bien à quel point Verdi savait camper un personnage ou une situation dramatique. Si l’on trouve beaucoup de ces mélodies dans des récitals de chanteurs d’opéra, peu d’enregistrements leur ont été consacrés. Le plus significatif est l’intégrale de Renata Scotto (Nuova Era). Norah Amsellem chante les deux recueils de 1838 et 1845, plus six mélodies séparées. Cette jeune cantatrice a déjà derrière elle une assez belle carrière de soprano lyrique (Gilda, Micaëla, Liu, Violetta, Comtesse des Noces)… Elle a avant tout pour elle un fort beau timbre qui possède dans certaines zones une couleur voisine de celle de Montserrat Caballé. Le registre grave est bien assis et la puissance suffisante pour donner une caractérisation dramatique. En outre, l’art du souffle est parfaitement maîtrisé ainsi que celui de la coloration qui permet de diversifier les affects musicaux et de donner vie à la phrase. Il faudrait cependant surveiller le vibrato, un peu trop ample sur certaines notes. L’aigu, peu sollicité dans ces pages, n’est pas sans défaut (contre-ut final de L’esule), risque d’engorgement à partir du la, un certain manque de souplesse dans la vocalise (La zingara). Mais ces réserves ne concernent finalement que des aspects mineurs de ce récital, par ailleurs fort bien servi par le piano de Lydia Jardon. Même si l’on se doute bien que l’accompagnement de Verdi n’est pas l’essentiel, cette interprète, qui a si bien servi les Goyescas de Granados ou le Concerto n° 3 de Rachmaninov, rend l’accompagnement souple, vivant et dramatique. »
ClassicsToday France, Mars 2005, Jacques Bonnaure
« Beaucoup moins enregistrée (depuis l’intégrale Renata Scotto de ’89 et l’enregistrement ultérieur de Margaret Price) que les extraits d’opéra, les quelques 25 Mélodies de Verdi peuvent déconcerter par leur relative sobriété. Il est vrai que le musicien reste avant tout un dramaturge qui a besoin de la scène pour s’exprimer pleinement. Néanmoins, cette musique au charme toujours prenant est ici servie avec une bonne lisibilité même dans les débits rapides (Stornello), une intensité intérieure dans Deh pietozo, une sorte de tranquille émotion dans l’évocation d’Il tramonto, l’ardente sensualité de La Zingara, ou encore dans les rudes oppositions voix/piano dans la peinture d’Il misero. La beauté du timbre, des nuances, du phrasé de Norah Amsellem servent efficacement les séductions verdiennes. Des pages tour à tour intimes ou étincelantes de verve populaire (Lo spazzacamino) qui offrent d’excellents bis aux récitals et qui méritent d’être découvertes pour elles-mêmes. »
Crescendo, Février-mars 2005, Bénédicte Palaux Simonnet