Lydia Jardon

Claude Debussy: La Mer

Lydia Jardon, piano

 

Achetez sur nos plateformes :

Détails produit

Claude Debussy
1.La Mer, version piano
2.L’Isle joyeuse

Maurice Ravel
3.Une barque sur l’océan

Louis Vuillemin

4.Soirs armoricains

AR RE-SE 2001-1

La Mer…

Les quatre œuvres de ce programme nous invitent à un voyage maritime. Un voyage qui commence au large, au centre d’une étendue illimitée avec La Mer (1903-1905), sans aucune présence humaine. La Barque sur l’océan (1906) qui vogue ensuite n’a pas l’air plus habitée. C’est seulement avec les Soirs armoricains (1913-1918) que nous accostons le rivage peuplé de marins. Le périple finira à terre sur L’Isle joyeuse (1904), environnée de houle océane.

La littérature sur La Mer ne manque pas. Mais aucun commentateur ne l’a étudiée sous l’angle du piano, et pour cause. Or la transcription pour piano de cette œuvre si spécifiquement orchestrale en fait une œuvre différente, et à part entière pianistique. Il s’agit bien d’une transcription pour le piano et non d’une réduction de la partition d’orchestre, le mot étant par trop « réducteur ». Les arrangements pour piano à quatre mains des œuvres orchestrales, souvent proposés par les compositeurs eux-mêmes, avaient au XIX° une fonction très importante de diffusion des œuvres, inaccessibles en dehors des salles de concert. L’arrangeur s’efforçait surtout de « caser » entre les quatre mains un maximum des informations prévues pour l’orchestre, sans chercher à s’adapter parfaitement à cet unique instrument. On conçoit bien que « traduire » La Mer pour seulement deux mains procède d’une autre démarche. Lucien Garban (1877-1959), qui s’est attelé à cette tâche en 1938, vingt ans après la mort de Debussy, était un habitué de cet exercice. Condisciple de Ravel au Conservatoire et son ami fidèle, il fit sa carrière comme correcteur chez Durand. L’histoire ne dit pas comment Garban a travaillé, mais à écouter le résultat on peut imaginer à quel point il était familier des œuvres pour piano de Debussy. Et quoi qu’il en soit, en amont du travail de transcription, il s’est appuyé sur les relations étroites qui existent entre la pensée de Debussy composant pour l’orchestre, et celle de Debussy composant pour le piano.

L’écriture de Debussy pour le piano n’est pas une écriture orchestrale, mais elle évoque (et pour ainsi dire convoque) fréquemment tel ou tel instrument: dans nombre de ses œuvres, on entend guitare ou mandoline, flûte, cor, ou fanfare de cuivres. A l’inverse, la lecture et l’écoute de la transcription de Garban, rappelle plus que des œuvres orchestrales, bien des œuvres écrites par Debussy directement pour le piano, avant ou après 1904. Le travail sur les tremolos, trait d’écriture tellement attaché aux particularités d’archet des cordes ou aux roulements de timbales, sera exploré dans les Poissons d’or ou dans Ce qu’a vu le vent d’Ouest. L’écriture par blocs instrumentaux se retrouve, elle, dans les mélodies d’accords qui sont une signature du piano de Debussy. Certains thèmes de La Mer, lorsqu’ils sont joués à deux mains, ne rappellent plus la version orchestrale, mais semblent faire référence directement à quelque pièce pour piano: le thème du premier mouvement, l’introduction passée, semble sorti d’une étude; avec ses quintes enchaînées il se situerait entre l’étude Pour les quartes et celle Pour les sixtes ! Le thème de Jeux de vagues est un frère du thème de danse de l’Isle joyeuse, (ce dernier étant seulement plus pianistique !). On pourrait multiplier ainsi les exemples qui montrent à quel point cette œuvre devient totalement « pour le piano ». Plus difficile que les autres, certes, parfois même plus pénible à jouer dans la mesure où certains motifs écrits pour faciliter le jeu d’une clarinette ou d’un violon, se retrouvent sur le clavier escarpés ou périlleux. Au bout du compte, l’auditeur ne doit pas chercher à entendre les harpes, l’appel des huit violoncelles, l’incroyable transparence qui résulte de la division des cordes, les fanfares de cuivres, c’est un morceau de piano qu’il écoute, même si l’interprète a eu la possibilité pour nourrir son imagination (re-)créatrice d’écouter une version orchestrale de l’œuvre avec toutes les couleurs des timbres différents.

La Mer, n’étant pas écrite pour le piano, ne cherchait pas à rendre par des moyens pianistiques tous les mouvements de fluidité, de flux, de reflux, de houle, que peut évoquer l’élément liquide. Ravel au contraire, dans Une barque sur l’Océan poursuit les recherches instrumentales menées déjà dans Jeux d’eau (1901). Mais alors que ces jeux restaient cantonnés alors à une fontaine ou à un bassin, le compositeur a ici agrandi son espace. Dès le début du morceau, la vague naît des grands arpèges de main gauche, montants et descendants, rendus plus houleux par l’incertitude ternaire-binaire de la mesure. Peu à peu ces arpèges vont descendre vers le grave et le champ sonore du piano paraîtra couvrir toute l’étendue du paysage, des abysses au firmament. Des friselis en tremolos dans l’aigu seront accompagnés de déferlements d’arpèges plus étendus encore, bourrasques couvrant sept octaves sur le clavier. Les rafales vireront presque à la tempête, jusqu’au fff, mais la douceur des arpèges et les résonances de l’instrument ramèneront le calme.

La présence humaine ici n’est pas du tout certaine, tant la barque paraît frêle face à la violence de la lame, et tant l’horizon paraît désert, lorsque tout s’éteint dans l’aigu de l’instrument. C’est en poursuivant ce voyage sur la mer que cette présence s’affirme, avec les Soirs armoricains. Dans cette suite de quatre pièces, l’auteur s’est ingénié à multiplier les pistes pour permettre à l’auditeur de suivre. Lorsqu’on exécute séparément l’un des morceaux, il demande même « qu’on indique au programme entre parenthèses : SOIRS ARMORICAINS précision indispensable à la compréhension de la Musique ». Louis Vuillemin, compositeur, musicologue, critique, appartient à la génération de ces musiciens nés sous la troisième république, comme aussi Paul Ladmirault, Paul Le Flem, Rhené-Baton, Louis Aubert, qui ont reçu leur éducation musicale à Paris, mais dont la veine créatrice est fortement ancrée sur leur sol natal breton. Les recherches ethnomusicologiques étaient limitées en Bretagne à cette époque, et l’Armorique recréée ici est celle que le compositeur porte en lui, avec sa charge d’impressions visuelles et sonores, qu’il nous transmet par des notations en exergue de chaque mouvement. Pour le premier, Au large des clochers : « Sérénité d’un crépuscule… Vibrations indéfinies de l’atmosphère… Tantôt lointaines et tantôt approchées par la brise, rumeurs venues de terre… Et, après des tintements épars, la discorde des Angélus… » Le piano doit tenir la gageure de donner la vie à ce monde poétique; il le fera à l’aide de moyens connus, mais offerts de manière originale. Beaucoup de notes ou d’accords longuement tenus, souvent dans le grave, qui font résonner l’instrument, et sur lesquelles flottent des chansons populaires modales au parfum celte ; de fréquentes oppositions entre des plans sonores différents, requis par des indications comme « lointain », « moins loin », moins près », « sonore ». Les effets de cloches apparaissent déjà dans ce mouvement mais seront portés à leur apogée pour Carillons dans la baie. La notation initiale est plus succincte : « Rythmes, chants, carillons ». Le compositeur excelle ici à faire tourner dans l’air quelques motifs, répétés en litanie, par-dessus lesquels sonnent quelques cloches isolées qui semblent être conçues pour le plaisir des pouces de l’interprète, ou des ensembles de carillons, harmonies de cloches frappantes de vérité sonore. Le dernier mouvement, enfin, Appareillage, avec les mêmes éléments nous ramène au monde des hommes, avec un tempo « vif, violent et obstinément rythmé ». Plus encore que dans les premiers volets, se mêlent ici le caractère percussif du piano, et ses possibilités de résonance aidées par l’emploi de la pédale. Mais l’expression est plus intense, et la tension va monter jusqu’à la frénésie, (point commun avec la fin de La Mer et avec celle de L’Isle joyeuse). C’est par le rythme implacable que monte cette tension « toujours rigoureusement dans le même mouvement ». Plus encore que précédemment la répétition des motifs et les volées de cloches produisent un tournoiement, celui de la tâche humaine indéfiniment recommencée, que suggère le texte proposé au début : « Le Môle. Soleil couchant. Grand vent. Se cabrant sous la première étreinte de la lame, cent lourds bateaux s’élancent successivement vers le large dans une interminable symphonie de bruits, de cris, de chants. Le fer, le bois, la toile vibrent avec les êtres. Lumière. Mouvement. Force. Joie. Vie. »

L’Isle joyeuse, terme de notre voyage, aurait été inspirée à Debussy par le tableau de Watteau L’embarquement pour Cythère. Pour autant, n’y voyons pas une île de la Méditerranée. C’est à Jersey, en plein océan, où il était venu réfugier ses amours avec Emma Bardac, que Debussy l’a composée. L’île résonne de musique et d’instruments : la flûte du début est sans doute celle d’un petit berger qui appelle aux réjouissances ; la danse est présente tout de suite avec un thème primesautier d’une vie rythmique communicative. La mer est présente avec l’accompagnement « ondoyant » du thème d’amour qui monte comme une vague irrépressible. La seconde moitié de l’œuvre est un immense crescendo, par élans successifs, qui se termine en exultant dans le bouillonnement des tremolos d’accords, les mêmes qui concluaient La Mer et qui rassemblent encore ces deux œuvres si proches déjà par l’écriture…pianistique.

Anne Charlotte Remond

La presse en parle
 

« Dans le dernier numéro de Piano, le magazine (p. 77), nous diminuions la portée de la transcription pour piano solo de La Mer. Lydia Jardon nous fait mentir, qui enregistre justement cette version de la partition (en première mondiale). Réalisée en 1938 par Lucien Garban, correcteur chez l’éditeur Durand, cette transcription n’est pas totalement irréprochable. Partition d’orchestre en main, certains détails mériteraient d’être précisés, affinés ; pour n’en citer qu’un, le chant des violoncelles débutant le passage en ré bémol du premier mouvement (mesure 32), rendu à la main gauche de rudimentaire façon, bien qu’il soit parfaitement exécutable. Lydia Jardon relève en tout cas le défi. Elle fait vivre cette partition avec la plus grande sensibilité, en privilégiant d’ailleurs une expression maîtrisée et retenue plutôt qu’en se risquant à rendre à dix doigts la richesse d’un orchestre foisonnant, parmi les plus ciselés du répertoire. Tandis que l’orchestre nous fait sentir les embruns et l’ivresse de la houle, le piano solo de Jardon apporte du lointain la sonorité des vagues, comme le vent transporte l’odeur iodée de la mer à l’intérieur des terres. Sans volonté, donc, de faire chavirer l’ensemble dans le tour de force. Outre Une barque sur l’océan et L’Isle joyeuse, toutes deux irriguées par le même souffle poétique, la pianiste ajoute à son programme les Soirs armoricains de Louis Vuillemin, où flottent encore les parfums maritimes. Le projet s’impose, autant par son originalité et sa cohérence que par l’enthousiasme et la poésie qu’y montre Lydia Jardon. »
Nicolas Southon


Juillet-août 2002

« AR RE-SE (« Celles-là » en langue bretonne) est un nouveau label qui propose des interprétations enregistrées par des femmes. Dans ce premier disque, Lydia Jardon a choisi des « impressions marines » centrées autour de la transcription de La Mer de Debussy par Lucien Garban. Si l’on attend ici une traduction littérale de la partition orchestrale, on se trompe. Les trois épisodes renvoient à l’auteur des Préludes et surtout des Images. C’est en effet entre ces deux cahiers pour le piano que Debussy compose La Mer. L’écriture de Lucien Garban réalise ainsi d’étonnants parallèles avec Reflets dans l’eau et Poissons d’or, qui, nonobstant le caractère aquatique du propos, évoluent dans une frémissante sensualité, un raffinement harmonique étincelant. Lydia Jardon analyse dans le détail autant qu’elle interprète ces trois séquences. Le piano Steinway semblera dur, notamment dans l’aigu, mais le résultat s’avère saisissant de clarté(s). L’Isle joyeuse et la partition de Ravel font preuve d’une analyse tout aussi pénétrante. Lydia Jardon est particulièrement attentive aux changements rythmiques les plus fins. Elle expose les exubérances sans fards, peut-être également sans le souci du mystère ou d’un son trop « préparé » (voir Benedetti Michelangeli). Les Soirs armoricains, dont la pianiste dit fort bien le texte du compositeur, respirent avec un beau sens de l’espace dans un jeu subtil d’harmonies dissonantes. La pulsation presque hypnotique qu’elle en donne rend justice à l’esprit faussement improvisé de ces belles pages. »

Été 2002, Stéphane Friédérich.



« Dès 1905, Debussy livrait une transcription de La Mer pour piano à quatre mains. Trois ans plus tard, Caplet adaptait pour deux pianos la partition de son ami. Ces deux réductions sont relativement connues grâce au disque, à la différence de la version que Lucien Garban signait en 1938. Compte tenu du foisonnement de l’original, l’adaptation pour deux mains a tout d’un défi… que Garban relève de talentueuse manière. Sans doute le dépaysement en territoire familier que provoque cette transcription suppose-t-il quelques instants d’adaptation, mais Lydia Jardon – qui signe une première discographique – a vite fait de convaincre et de capter l’attention au commencement d’un programme aussi cohérent qu’original, structuré autour du thème de la mer. A ceux qui connaissent déjà ses superbes Rachmaninov (Sonates nos 1 et 2), Granados (Goyescas) et Chopin (Préludes), on ne peut que recommander de faire à nouveau confiance à la pianiste française. Une barque sur l’océan, emportée dans une vaste respiration et sans l’ombre d’un temps mort, et L’Isle joyeuse sculptée, onirique à souhait (avec pour contrepartie une couleur d’ensemble que l’on voudrait par instants un peu plus scintillante) soutiennent la comparaison avec de grandes versions. Toutefois, outre la transcription de La Mer, ce sont les Soirs armoricains de Vuillemin (inédits au disque) qui font d’abord l’intérêt de ce programme. Elève de Fauré, Vuillemin (1879-1929) est à la Bretagne ce que Séverac fut au Languedoc. Debussy disait de l’auteur de Cerdaña que sa musique « sent bon » : on pourrait en faire autant avec le Soirs armoricains. Le jeu ample et timbré mais aussi très lisible de l’interprète rend justice à des pages riches et contrastées (splendide Appareillage conclusif !). »

Mai 2002, Alain Cochard



« Organisatrice depuis 2001 des Rencontres de musiciennes de l’île d’Ouessant, la pianiste d’origine catalane Lydia Jardon, dont on avait remarqué l’interprétation des Goyescas de Granados (ILD — Le Monde de la musique, janvier 2001), consacre ce nouvel enregistrement au thème de la mer. De La Mer de Debussy, on connaissait la réduction pour piano à quatre mains (celle, en particulier, du Duo Crommelynck-Claves), mais Lydia Jardon, en première mondiale, nous révèle la transcription pour piano seul de la partition d’orchestre, réalisée en 1938 par Lucien Garban (1877-1959), correcteur chez l’éditeur Durand, proche de Ravel et familier de cet exercice à haut risque. Les trois pièces extraites des Soirs armoricains de Louis Vuillemin, composées entre 1913 et 1918, nous font découvrir un musicien dans la mouvance de Paul Le Flem ou Paul Ladmirault, précurseur d’Olivier Messiaen par le jeu des timbres et les agrégats sonores (« Carillons dans la baie », « Appareillage »). Plus traditionnelles, les pages comme Une barque sur l’océan de Maurice Ravel et L’Isle joyeuse de Debussy achèvent de donner sa cohérence à l’ensemble. Lydia Jardon ne se contente pas, par son jeu superbement suggestif, de nous faire respirer les embruns, mais lit elle-même les textes qui accompagnent les Soirs armoricains de Vuillemin. Ce disque exigeant, original par ses choix, convainc d’autant plus que la prise de son est très naturelle. »

Mai 2002, Michel Le Naour

 

×

Panier